Bas bruit, bas de contention

La blogosphère pinardière a ses codes, ses voix qui portent peu ou prou, ses audiences difficiles à estimer, même ses hiérarchies quelque peu mystérieuses.
Et tout ce petit monde connait assez régulièrement des secousses plus ou moins violentes et sincères.

J'en parlais par là il y a peu.

La dernière en date, a fait un buzz un peu moins éphémère et donc un peu plus clivant que d'habitude.
Ouais : Vino Business, fatalement.
Le moindre des défauts de ce "documentaire" n'est sans doute pas de ne rien faire bouger. Car au final il fige chacun sur sa position, on doit pouvoir dire dans son rôle. Du coup la lecture des commentaires trouvés de ci de là sur le net ne surprendra personne dès lors que le lecteur est habitué, ne serait ce qu'un peu, à la prose de l'auteur.
Ca a d'ailleurs un petit côté fin de soirée électorale assez pénible.

Parfois un peu plus qu'un peu.
Peut-être est-ce un nouvel avatar de la querelle des anciens et des modernes, des bas bruits contre les bas de contention ?



C'est parti de pas grand chose : un papier de S Kaganski à propos de Vino Business, sur le site des Inrocks

Je n'envisageais pas deux minutes de le citer, encore moins de le commenter. Puis certains on pris une méchante série de poussières dans l’œil, du coup j'y ai fait un tour.
Alors que trouve t'on dans ce papier ?

Pour commencer en illustrant les clivages dont je parlais précédemment on peut s'arrêter à cet extrait :


Et puis les auteurs prennent aussi le temps de filmer les tuiles de Saint-Emilion, les ciels changeants d’Aquitaine ou de Bourgogne, les lumières rasantes de l’aube ou du crépuscule sur les coteaux, les vieilles pierres des domaines qu’ils soient cotés à Shanghai ou pas, les ceps nus de janvier comme les grappes mûres (ou abîmées par telle intempérie) de septembre, les gestes artisanaux et anciens de la biodynamie (bouses et cornes de vaches, grains pressés aux pieds…)…

Ca y va fort :
"Les gestes ancestraux et anciens de la biodynamie (bouse et cornes de vache, grains pressés aux pieds ...)" ?!
- Biodynamie / ancestraux et anciens : d'une part la biodynamie est fondée sur une série de conférences de Rudolf Steiner qui remontent à 1924, d'autre part ses principes ne sont en aucune façon fondés sur quelque geste ancestral que ce soit. Tout au plus peut-on - pour la dynamisation - envisager de la rapprocher de l'homéopathie (proposée en 1796 par Hahnemann ... et là, sans compter que c'est une parenté lointaine et partielle, on pourra avoir une autre discussion !).
Alors ancestral et ancien faudra peut-être envisager de repasser ...
- Biodynamie / grains pressés aux pieds : ben voyons donc, on a attendu la bioD et Steiner pour "presser aux pieds" ?
D'autant qu'en fait de pressurage de grains, dans le reportage il s'agissait d'un pigeage qui, pour le coup, est une pratique bourguignonne tant ... ancestrale qu'ancienne, mais en aucun cas réservée à quelque chapelle (ou région) que ce soit !
Mais comme je l'écrivais à propos de l'intro d'I Saporta dans son docu : ancestral et ancien, pour le grand public c'est le truc rassurant et consensuel, garant de naturalité (ben tiens ...) ... c'est donc indispensable à tout discours qui prétend pourfendre l'insupportable modernité.


Mais le morceau de bravoure n'est sans doute pas (que) là :


Saporta Rouletabille dévoile aussi que dans le jus de raison fermenté, il y a du jus de raisin fermenté… et plein d’autres trucs plus ou moins avouables (surtout moins) : du bois, des pesticides, des additifs, des E300 et plein de poussières, des substances que pour savoir ce que c’est t’es agrégé de chimie.

E300 ?
E 300 c'est l'acide ascorbique.
Autrement dit la Vitamine C.
Un truc réservé aux agrégés de chimie ?! ouais ...
En tous cas un truc qui se trouve naturellement dans le mout de raisin (environ 50 mg/l), mais qui en disparait quasi totalement lors de la fermentation alcoolique.
Il arrive que l'on en ajoute dans le vin (généralement de 50 à 100 mg/l) afin de le protéger de la casse ferrique  et/ou d'éviter l'oxydation des arômes du vin.
Chacun jugera à l'aune de ses convictions dans quelle mesure ce E300 est, ou pas, un truc honteux.

Du bois ?
Classiquement on met le vin dans du bois, plus récemment certains se sont mis à ajouter du bois dans le vin.
C'est certainement un sujet qui mérite débat.
Quoiqu'il en soit il me semble regrettable que la présentation faite dans Vino Business soit si caricaturale et pousse le spectateur à associer le discours de Jean Philippe sur le profil des vins et sur l'utilisation de ces bois avec son travail de conseil auprès des Grands Crus.


Et plein de poussières ?
Il semblerait qu'il ait (au moins) deux lectures à ce "et plein de poussières".
Au vu de la formulation choisie par l'auteur aucune des deux ne me semble totalement incongrue.
Mais c'est pourtant bien là qu'interviennent sinon les membres présents ou passés de l'Académie Française, du moins les anciens, les modernes et un mix entre OK Corral et les 7 mercenaires.


Car ce sont donc bien ces poussières et ce qui s'en dit, qui me mènent à pondre ce billet (et du coup à retarder le compte rendu de la joyeuse dégustation d'hier soir). Alors que s'en dit il (entre autres, là aussi, joyeusetés) :

Pour ce faire, notre peine à jouir du clavier a annexé 3 brillants bloggeurs, dont la surface médiatique, certes moindre que la sienne qui, chacun le sait, à un côté désert de Gobi, fait frémir le cercle de leurs amis, afin de jeter un opprobre définitif sur ce film que le susdit, jamais en reste d’élégance, avait qualifié de merde.
.../...
Mais, à toute chose malheur est bon, ce qui me réjouit profondément dans tout ce tintouin, je ne fais pas ici référence au bas-bruit des 3 blogueurs émérites, c’est le tas de pognon dépensé par le tonton pour que France 3 ne diffuse pas ce « docu à la con ».

 et
Pour les éminents blogueurs et commentateurs d’un article des INROCKS sur le fameux documentaire que l’expression « et des poussières » ne signifie pas que les vins de Norbert contiennent des poussières mais « Indique qu’une quantité, une valeur, un montant est arrondi à la baisse. » pas la peine d’en faire des tonnes pour disqualifier l’auteur. Parfois je me dis que Michel Onfray a raison sur les ignares mais bon ça a au moins le mérite de se faire une idée de la qualité des auteurs.
 
Au delà du fait que la formulation "
du bois, des pesticides, des additifs, des E300 et plein de poussières, des substances que pour savoir ce que c’est t’es agrégé de chimie" peut pour le moins donner lieu à discussion, tout çà est quand même d'une rare élégance argumentative.

Sans compter que dans les "bas bruit" il y en a un que j'ai le plaisir de connaître, et que celui ci au moins (ceci dit sans préjuger des mérites réels ou supposés des autres, que je n'ai pas eu l'occasion de croiser) ne me semble pas mériter ce très mauvais procès.

Procès d'autant plus mauvais qu'il me semble fort hypocrite.
Hypocrite au moins en ce qu'il prétend instrumentaliser 3 "bas bruit" (autant dire rien) pour tenter un contre de billard carambole visant une autre cible.

Mais jouer au billard français, même en contre, même avec 3 "bas bruit", c'est peut-être s'exposer à se retrouver à l'insu de son plein gré dans la variante dite : le 4 billes.
Faire la 4ème bille, donc. Et de toute évidence pas la moindre des billes.

Alors : blogueur à bas bruit ou blogueur en bas de contention ?
bas bruit sincère, ou bas de contention qu'il vaudrait mieux porter afin d'éviter la production de quelques vilaines varices ?

Mon choix de lecture est fait de longue date et risque fort, sur ce coup là au moins, ne pas évoluer.
Entre bas bruits (moi je donnerais plutôt dans l'infra son) c'est bien le moins ...












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