A propos de journalistes, de statistiques et de vin bio

Le web fourmille de trucs plus ou moins convaincants qui sont repris à l'envi sur tel ou tel blog, sur Facebook et divers sites d'infos à la crédibilité variable.
La blogosphère pinardière ne fait pas exception à la règle, pour autant que je sache c'est même un cas d'école.
D'école de journalisme.

En termes de traitement de l'info (à moins que ce ne soit de mauvais traitements infligés à l'information) on trouve en effet des textes intéressants.
Dans un billet précédent j'ai déjà traité de cette publication largement reprise sur la thématique : "un apéro = un Burger", thématique prenant le texte d'origine par le petit bout de la lorgnette et, par la même occasion, faisant l'impasse sur le fond du document en question.
En effet : au lieu de traiter du document et de ses tenants et aboutissants, les commentateurs focalisaient sur un outil tout autant rigolo qu'absurde qui convertit divers alcools en équivalents burgers, sur la base de leurs valeurs caloriques réelles ou supposées.
Je ne reviens pas là dessus, le billet est consultable via le lien indiqué plus haut.

Là, rebelote : on voit depuis quelque temps tourner des billets reprenant le même petit bout de la même lorgnette pour signaler qu'un verre de pinard équivaut à une heure de sport.
C'est également rigolo, et absurde.
L'étude est.
Ce sont les vertus antioxydantes du resvératrol qui y ont été relevées, en particulier le fait que - chez le rat - elles améliorent certains des effets de l'activité sportive (les rats sont en effet de grands sportifs).
Bien sur, à aucun moment des doses de vins contenant la même quantité de resvératrol n'ont été absorbées par les rats et je doute que, lors du marathon du Médoc, les performances soient significativement améliorées par un arrêt, prolongé ou pas, aux stands de Pauillac ...
Une bête règle de trois basée sur les infos données par la publi en question montre en effet que pour arriver a absorber, a l'aide de vin rouge, les quantités de resveratrol "recommandees" il faudrait s'enfiler des quantités de pinard menant automatiquement au coma éthylique avant d'avoir ne serait ce qu'approche la quantité nécessaire et suffisante de resveratrol !
Ben ouais, dans le vin rouge, y a pas que du resvératrol.
Le vin rouge ne permet pas de se doper. Même quand on est un rat.
C'est con.
Ou pas.

Bon, j'imagine - et j'espère ! - que ce genre de niaiserie n'a trompé personne.

Alors ce qui me pose problème n'est pas tant que l'on reprenne autant et aussi mal un travail scientifique pour lui faire dire n'importe quoi de rigolo.
Encore que ...
Non, c'est plutôt que les mêmes qui tombent à bras raccourcis sur les conclusions capillotractées de l'ANPAA après tel ou tel travail, ou sur les approximations d'Isabelle Saporta puissent dans le même temps s'extasier de ce genre d'âneries : lorsque l'on se permet de se réjouir de conneries (même rigolotes) qui nous confortent dans nos certitudes, il me semble difficile de prétendre à la crédibilité lorsque l'on tape sur des conneries du même genre qui, elles, nous déplaisent.

Il ne me semble pas que souhaiter une approche citant un truc rigolo tout en prenant un minimum de distance soit trop demander !?
Pourtant on dirait bien que si.

Non, c'est pas sur le Gorafi : c'est un papier commis par des étudiants en journalisme.
Alors tu lis ça avec un œil un tant soit peu critique et tu te dis illico que tant le journalisme d'investigation que le journalisme scientifique ont de beaux jours devant eux ....

Bon, le protocole est tout pourri :
Pour garantir sa fiabilité, l’expérience se fait à l’aveugle. Seule une poignée de participants, les organisateurs, savent si la soirée est bio ou « traditionnelle ».
Vu qu'ils sont 12 en tout et pour tout, une poignée c'est quoi ?
5 ou 6 ?
ouais, la moitié quoi.
Trop cool : y a déjà la moitié des données à jeter à la poubelle ! Au moins la moitié, car s'ils finissent à 3 grammes, c'est pas sur qu'ils aient été capables de garder le secret (tout relatif) très longtemps ...
On veut faire ça bien.
C'est sans doute pour çà que ne sont indiqués ni la couleur, ni l'origine, ni le mode d'élaboration, ni même le degré alcoolique de chacun des vins de chacune des deux soirées ... donc aucun moyen d'être sur que seul le critère bio / pas bio est discriminant.
Sans doute aussi est ce pour çà que les alcoolémies des participants ne sont contrôlées ni avant ni après chacune des dégustations.
J'en passe et des meilleures ...

Bref les conditions de la cuite sont douteuses et le recueil des résultats, je t'en parle même pas : du déclaratif le lendemain, avec un pourcentage important de "testeurs" (sinon la totalité) qui savent ce qu'ils ont bu la veille ...

Mais comme faire un truc vraiment foireux ça s'improvise pas, il reste encore à maltraiter les résultats.



Globalement, les résultats montrent que tous les symptômes ont été plus importants avec le vin conventionnel (sauf sueur et tachycardie). De plus, les écarts entre les deux moyennes d’un même symptôme sont significatifs (excepté pour la fatigue qui est sensiblement similaire d’une soirée à l’autre). Les chiffres laissent donc croire que la gueule de bois au vin conventionnel est plus difficile à encaisser pour le corps qu’une cuite au vin bio.... Enfin, si on ne fait pas du cas par cas.





"tous les écarts ont été plus importants" et "les écarts entre les deux moyennes d'un même symptôme sont significatifs" ?
Ben voyons donc ...
C'est d'ailleurs aussitôt "confirmé" par une polymégachiée de commentateurs qui observent généralement que cela conforte leurs propres "expériences" et puis que c'est normal, vu toutes les saloperies qu'il y a dans le vin quand il est pas bio.
Ben tiens.
Et la marmotte, elle prend des cuites à quoi ? au glyphosate ?

Comme je suis pas le mauvais bougre et que je suis joueur, je prends comme contre exemple un des écarts les plus importants.
C'est celui qui concerne la déshydratation : sur ce facteur, on passe de 6.75 à 5.25.
Soit un considérable écart de 1.5 / 10 !!
Significatif, quoi.
Enfin surtout si on fait l'école de journalisme, et que l'on s'y prend deux cuites coup sur coup.
Dont une au vin bio.
Rappel sur la déshydratation : l'hormone anti diurétique (la vasopressine) est responsable de la récupération d'eau par l'organisme. Elle est détruite par l'alcool. Alors c'est simple : tu picole, tu détruis l'ADH, tu pisses, et le lendemain t'as mal à la tronche.
Le seul moyen de limiter les dégâts est de boire de l'eau pour essayer de compenser les pertes et, donc, de réduire le mal de tronche.
Nos jeunes amis auraient donc du s'assurer que chaque participant a, à chaque fois, bu exactement la même quantité d'eau depuis l'imbibation jusqu'au lendemain matin.
C'est raté.
Toute personne ayant fait l'apprentissage élémentaire des statistiques, et/ou dotée du tableur le plus basique qui soit est en mesure de calculer, d'un simple clic, un écart type.
L'écart type c'est quoi ?
C'est la marge d'erreur qu'on doit appliquer à la moyenne.

Ici ça donne quoi ?

- "Bio" : moyenne 5.25 et Ecart type : 2.83.
La moyenne est donc quelque part entre 2.42 et 8.08 pour le bio
- "Conventionnel" : moyenne 6.75 et Ecart type : 2.3.
Moyenne entre 4.45 et 9.05 pour le conventionnel.

Autant dire qu'au vu des chevauchements les différences significatives sont tout de suite bien moins évidentes ...
Et elles le sont d'autant moins qu'une différence n'est significative que si l'on a pris la peine de faire le test statistique ad-hoc et que le résultat a prouvé cette significativité.

=> hypothèse 1 : la différence moyenne entre les deux séries de données est nulle.
Le test de Student donne p > 0.1 (si vous me croyez pas, je vous laisse refaire le calcul, mais c'est chiant comme la pluie un soir d'automne)

p > 0.1 ?
= pas de présomption contre l'hypothèse nulle.
En clair : les deux moyennes ne sont pas significativement différentes.

Alors fin de l'épisode, et c'est pas la peine de passer à l'hypothèse suivante (qui aurait été "bio" est significativement inférieur à "conventionnel")


Pas de différence statistiquement significative.




Au delà de ce qu'il y a de consternant à n'aborder le vin que sous l'angle de la cuite  et de ses conséquences sur la transpiration qui en découle (c'est le cas de le dire), j'imagine que partir dès l'école de journalisme sur des bases analytiques aussi élevées permet d'expliquer - sinon excuser - pourquoi on se retrouve ensuite, sur le service public, avec des documentaires aussi lumineux que ceux qui nous ont été infligés tant à propos de la mémoire de l'eau que du monde du vin !?



Les statistiques c'est comme le bikini : ce qu'elles dévoilent est suggestif, ce qu'elles dissimulent est essentiel.
Aaron Levenstein



(en plus il y a une suite, quel bonheur ! Ca c'est la suite)

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