Vin à la télévision - Spécial investigation : la gueule du documentaire

Ca faisait longtemps qu'on n'avait pas eu un documentaire sur le vin ...

Enfin, un documentaire, faut pas déconner non plus ! disons plutôt : "un truc vaguement anxiogène et un peu plus que vaguement caricatural", un peu (beaucoup !) sur le mode les méchants industriels suppôts de la chimie lourde qui fait peur, face aux gentils artisans vignerons qui passent leur journée au cul du cheval et dont la seule concession à l'insupportable modernité est le sécateur.
Si on y ajoute les classiques du genre : la caméra cachée et le goût de banane, y a pas de raison que ça fasse pas un carton.

Le dernier en date est : "Spécial investigation - Vins français : la gueule de bois"
Que nous en dit Canal+ ?
Une enquête de Donatien Lemaitre
Production : CAPA
Durée : 52 min

Dans leur grande majorité, les vignerons promettent, la main sur le cœur, que le vin est le résultat d'un savoir-faire traditionnel qui, depuis ses origines, dépose la nature au fond de nos verres. Du raisin, du soleil, de l'amour et du temps. Avec le vin, c'est donc le terroir que l'on boit... ou que l'on croit boire, car que sait-on vraiment du vin ? En fait pas grand-chose. Le vin est un des rares produits de consommation en France qui n'a pas à dire ce qu'il contient.

De la vigne aux cavistes, Donatien Lemaitre a enquêté sur ce qui se cache dans nos bouteilles et sur les méthodes de fabrication et de promotion de ce fleuron de notre culture gastronomique qui est aussi un de nos premiers produits d'exportation. En s'immergeant dans le monde du vin, cette enquête met à jour un système qui n'a plus grand-chose à voir avec le terroir et la tradition.

Pour SPECIAL INVESTIGATION, Donatien Lemaitre dévoile ce que les vignerons ne veulent jamais montrer.
Sinon "Spécial investigation - Vins français : la gueule de bois" on en fait aussi le pitch sur cette vidéo d'interview pré diffusion.
Et tout ça fait super envie, je trouve.
D'ailleurs ça se confirme ensuite, morceaux choisis :

- les vignes sont farcies de pesticides, y en a même qui viennent d'Espagne parce qu'ils sont interdits en France (bon, ok : ça fait quand même braire, j'avoue ... même si la carbendazime est un métabolite du thiophanate-méthyl - produit autorisé - et qu'il est donc impossible de dire si la carbendazime vient d'Espagne ... ou du métabolisme du thiophanate-méthyl).

Du coup les vins c'est un cocktail de la mort qui tue ... sauf que j'ai un problème avec les résultats qui nous sont aimablement présentés : les valeurs sont très souvent au niveau de la limite de quantification des molécules dosées. Or d'une part nous n'avons aucune idée de la marge d'erreur de la méthode utilisée, d'autre part les valeurs ne sont pas corrigées du taux de récupération des dites molécules (cf en bas de l'image), enfin il n'y a eu aucun dosage en double aveugle.
Autant dire, pour faire simple, que la méthodologie est foireuse. Ca veut pas dire que c'est faux, ça veut juste dire que ce n'est pas forcément vrai. Je sais : c'est moins sexy qu'une caméra cachée, mais c'est comme çà que ça fonctionne si on veut essayer d'être un minimum sérieux.

- les vins sont trafiqués à la chimie (il faut noter qu'ici, la chimie est une notion assez vague et extensible) à un point que c'en est à peine croyable.
En plus, dixit l'ouvrier de chai :

Pour moi tu gruges le client. Tu fais du vin qui ne va pas se garder : au bout de quelques années, il n’aura plus de goût. Le vin se bonifie quand tu mets des bonnes choses dedans, pas ces merdes.


Je trouve assez sympa de diffuser ça : je pense que le proprio va adorer ce genre de commentaire. Parce que, bon, flouter sa tronche au type hein, pas sur que ça suffise à le rendre anonyme ...
Bon en même temps s'il se fait virer on s'en fout : le marché de l'emploi est super porteur et puis ce sera un dégât collatéral du genre minime compte tenu de la vaste mission d'édification de la population.
Pour le reste ce type à le droit de penser ce qu'il veut. De là à le diffuser sans aucune espèce de vérification ... parce que, bon, des études longitudinales sur l'effet réel ou supposé des produits œnologiques y en a quand même eu deux ou trois.
En outre je dois même avoir en cave quelques vins dans lesquels on a mis des levures industrielles super boostées (putain, quel pitre !) avec des activateurs de fermentation (ça a l'air super louche ce truc non ?) qui évoluent pas si mal que ça pour de la merde qui devrait plus avoir de goût depuis 10 ans ! (pour, bien sur, continuer à citer notre expert).

Le dit expert a, par ailleurs, cette phrase magique :

"le tanin ça apporte de la couleur"
qu'il nous assène en tanisant allègrement sa cuve.
Et moi qui, jusque là, croyais bêtement que la couleur était apportée par les anthocyanes (ce qui explique qu'il soit interdit d'en ajouter au vin) et non par les tanins ! Vu que ça a été dit à la télé, qui plus est dans un documentaire qui a demandé près d'un an d'enquête, je suppose que l'on m'avait menti ...



- par contre on vendange en fonction de critères simples et objectifs :
- Ca n'est vraiment pas mur. Tout est vert en fait (Tout est vert, surtout les feuilles,  les raisins, je dois être daltonien mais à la couleur y a rien que me choque. Au gout je sais pas, et eux non plus puisqu'ils ne les goutent pas. Le seul truc que notre journaliste d'investigation cueille c'est un grappillon. A ce stade ça réveille. Pas mur quoi.)
- Et pourquoi ils veulent ramasser si tôt, si ce n'est pas mur
- Parce que c'est le chef. Il fait ce qui lui plait le chef.

(forcément s'il faut tenir compte de la hiérarchie pour vendanger on a pas le cul sorti des ronces !)



- à propos du chef : le chef il ferait bien de surveiller son ouvrier, le chef.  Surtout quand il met des levures, l'expert en produits œnologiques. Parce que vu la façon dont elles sont préparées y a aucune chance qu'elles s'implantent les levures.
En fait, le mec il fait de la fermentation en levures indigènes sans le savoir, c'est un genre de Monsieur Jourdain de la vinification nature.
Tout n'est pas perdu, jte l'dis.




- les cavistes sont des buses, surtout Nicolas qui vend que de la merde (Tendres pensées pour le caviste Nicolas qui, il y a 25 ou 30 ans de çà me fit découvrir le vin avec le Clos de la Mouchère de Jean Boillot alors en monopole chez ... Nicolas).
Là aussi, chez Nicolas, devrait y avoir du turn over sous peu ... vu que tout ça a illico été montré au DG de Nicolas, qui est surement un mec supra cool avec ses vendeurs qui trouvent que leur gamme c'est de la merde.


- forcément on nous sort le Bojo et G. Duboeuf : la banane c'est un genre de figure imposée dans ce genre d'exercice. Bon là c'est aussi pitoyable que d'habitude sur ce que les levures sont, font et quand et comment elles le font ou pas (PS : la 71B n'est pas révélatrice d'arômes).
Au passage un truc sur le chauffage de la vendange chez Remuet ... c'est mal le chauffage de la vendange. Bon, le petit gars regrette vivement tout ce genre de choses qui te flinguent le terroir et la tradition :  le terroir et la tradition c'est un peu comme Heckel et Jeckel, deux inséparables.
Ah : je tiens à la disposition du dit petit gars quelques bouquins d'avant le phylloxéra (donc du tradi de chez tradi je pense) dans lesquels on chauffe allègrement - certes pas tout à fait dans le même but -, et puis on ne chauffait alors pas au pétrole : ce doit être çà le truc !?
Ensuite, quand il ouvre un sachet de 71B pour la sentir et prendre un air dubitatif c'est quand même un genre de Graal : c'est peu après la 33ème minute et ce serait dommage de pas avoir tenu jusque là !
Actors studio
, en mieux.
Bon, il serait mesquin de faire remarquer que le sachet est soufflé et que donc la bête est morte depuis un bail. Comme je suis mesquin, je le fais remarquer.



- sinon les médailles c'est nase.
T'as qu'à voir : les concours ne classent que les gens qui y participent, c'est dire si ce truc est fallacieux, limite escroquerie en bande organisée.



- heureusement les vins nature rattrapent le tout, mais pour être crédible faut aimer les chevaux et pas l'argent, et c'est là la différence majeure avec I. Saporta. Car chez Saporta c'est les poules qu'il fallait aimer, et y en avait deux aussi de poules. Sinon il a un béret et aussi deux bottes, Alexandre Bain. Le béret, les bottes et les deux chevaux/poules c'est un signe de grand vin (pour un journaliste d'investigation).
Puis surtout ça fait de belles images rassurantes.




Moi j'ai ni deux poules ni deux chevaux mais j'ai eu deux chats puis j'ai aussi deux couilles, et ce genre de plaisanterie :
"Spécial investigation - Vins français : la gueule de bois", je dois avouer que çà m'en touche une sans me faire bouger l'autre.


Vins français ? La gueule de bois ?
La gueule de bois, j'en parle dans le cadre des Vendredis du Vin.
(teasing)



Pour l'ensemble des images :

© Spécial Investigation



Pour aller un peu plus loin et se persuader que je n'écris pas forcément (que) des conneries :

- on peut commencer par voir ou revoir le truc donc il s'agit, en suivant ce lien

Et puis aussi lire ceci :

- sur la 71B et, d'une façon générale, les sélections de levures

- à propos des joies des temps anciens, quand on aimait et respectait Dame Nature

- sur l'effet des levures sur la qualité du vin et son évolution au cours du temps (et le "masquage du terroir") : FUSTER A., ESCOT S. 2002. Elevage des vins rouges sur lies fines : choix de la levure fermentaire et ses conséquences sur les interactions polysaccharides pariétaux/polyphénols. Revue des Œnologues, 104, 20-22 (Un travail rigolo mené sur diverses appellations françaises (et plusieurs propriétés sur ces appellations) avec deux levures bien différentes du point de vue de l'étude)

- et, enfin, une vision plus humaine de ce que c'est que faire du vin
(mais ça c'est pas moi qui l'ai écrit)

- mais on n'est, bien sur, pas obligé d'avoir la même lecture du truc en question : la preuve !

Commentaires

  1. Réponses
    1. Merci !
      (longtemps j'ai essayé de briller auprès des jeunes étudiantes avec mes démonstrations brillantes et ma logique imparable, aujourd'hui j'essaie juste de les faire rire : je dois approcher de la Sagesse. Ou alors c'est la prostate ?)

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  2. Pas que drôle, très précis sur ce docu à charge...

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    1. Sur ce point précis (de la précision) les avis sont partagés
      ;-)

      (voir le mur Facebook de NdR)

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    2. Vu, avant de poster mon commentaire...
      Laurent Jouanne

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    3. Toxicité aiguë [Élevée] Le thiophanate-méthyl est faiblement toxique par les voies d'exposition orale, cutanée et respiratoire. Il est peu ou pas irritant pour les yeux et la peau mais c'est un sensibilisant cutanée.
      Effets à long terme [Extrémement élevée] Lors d'études chez les animaux de laboratoire, le foie et la thyroïde étaient les principaux organes cibles du thiophanate-méthyl. Les testicules étaient aussi affectés chez les rats. Les effets cancérogènes comprenaient des adénomes hépatocellulaires et aux cellules folliculaires thyroïdiennes. Le thiophanate a démontré un potentiel de neurotoxicité chez le chien lors d'une étude chronique. Le bénomyl qui possède un métabolite commun avec le thiophanate-méthyl avait démontré un potentiel de neurotoxicité dans des études subchroniques et chroniques. Des études sont requises de même que sur la neurotoxicité du développement. Le thiophanate ne semblait pas affecter la reproduction et le développement dans les études animales. Il n'y a pas d'effet en regard avec le système reproducteur (anti-œstrogénique, œstrogénique, androgénique, anti-androgénique). Toutefois, le thiophanate-méthyl altère la fonction thyroïdienne. Le thiophanate-méthyl est potentiellement génotoxique.

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    4. Deux remarques sur votre commentaire (au delà du simple fait de vous remercier de l'avoir fait) :

      1. autant mettre la source (a priori : "SAgE pesticides") de façon à connaître la source et à avoir accès à la totalité de l'info disponible sur le support en question :
      http://www.sagepesticides.qc.ca/Recherche/resultats.aspx?Search=matiere&ID=175

      2. il ne vous aura pas échappé que mon propos n'était ni de faire un billet pro pesticide, ni de nier la signification du suffixe "cide". Il s'agissait simplement de pointer les faiblesses (les insuffisances !) du "documentaire".
      Pour celles qui concernent les pesticides : je souhaitais indiquer mes réserves d'une part quant à la façon dont les dosages sont faits et, d'autre part, quant aux commentaires et conclusions qui en découlent.
      En particulier : la présence de traces de carbendazime n'indique pas nécessairement qu'on a un résidu de carbendazime lui même (donc utilisation d'un produit illégal).
      La toxicité réelle ou supposée du thiophanate-méthyl est un autre sujet ... qui n'a pas été abordé dans le docu où l'on a préféré, à tort ou à raison (selon moi à tort, mais on peut ne pas être d'accord) sur la seule explication par l'utilisation illégale, via l'Espagne, d'un produit interdit.

      Je ne cherche pas à justifier la présence de résidus de pesticides dans le vin, je souhaite juste que l'on ne fasse pas dire aux chiffres ce que l'on souhaite qu'ils disent ... mais qu'ils ne disent pas nécessairement.

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