Le singe d'une nuit d'été


Les chats sont des nuisances, c'est bien connu.
L'ensemble des chats, du premier au dernier : sauf, bien sur, ma brave vieille Chatte Earley.
RIP Earley ...

RIP ...
Souvenir ému de J., sous-lieutenant de son état, que j'avais aimablement surnommé "Tête inerte" alors que nous officiions l'un et l'autre au 19ème groupe de chasseurs (j'écris "nous officiions", puisque Tête inerte était Sous-Lieutenant, et moi aspirant. J'aurais du écrire "servions", tradition chasseur oblige).
"Tête inerte" car je maniais alors l'à peu près militaire : j'étais  le popotier du beau 19, et cela faisait partie intégrante des pré requis de cette fonction tant honorable qu'enviable et enviée.

Il faut dire qu'il n'avait pas la lumière à tous les étages, J., et que c'était parfois drôle, parfois moins :

Lors d'une virée à Strasbourg (nous avions en effet des loisirs qui ne se résumaient pas à faire nos achats dans les magasins canadiens réservés aux officiers), c'est lui qui à la vue d'une plaque tombale de la cathédrale s'était étonné qu'il y ait déjà eu, à l'époque, des Régiments d'Infanterie Parachutiste ...
(après tout, c'est Léonard de Vinci qui a inventé le parachute !).

C'est aussi lui, ce crétin des Alpes, qui m'avait tiré une bastos (9 mm tout de même) à côté de l'oreille gauche - il avait trouvé ça drôle j'imagine ? - sonnant ainsi le glas d'une partie de mon tympan et du même coup, du même tir, de ma pratique de la plongée sous-marine.
Tête inerte.
J'imagine que c'est le fait d'avoir vaillamment - et avec succès - résisté à l'envie de l'emplâtrer qui me valut l’appréciation que mon chef de corps, le Colonel C., nota sur mon livret militaire et me communiqua lorsqu’il me remit  la Médaille de la Défense Nationale : "Bon officier, bien qu'un peu désinvolte".

Tête inerte
, je connais quelques chats qui mériteraient ce nom ...

Pourtant en matière de nuisibles j'ai connu bien pire que les chats ou le sous-lieutenant J. ...
Et je ne pense pas qu'à certaines de mes ex.

J'étais encore dans l'enfance et un de mes oncles, Pierre, bossait en Afrique depuis un bail déjà.
L'Afrique se matérialisait régulièrement devant moi grâce aux objets divers et variés qu'il en ramenait à chaque séjour en France.
C'est donc aussi grâce à lui que j'ai eu mon premier aperçu de ce que pouvait être le pillage des ressources naturelles : en regardant ma mère et Robert, son plus jeune frère, explorer les cartons de Pierre l'africain dès qu'il était reparti, afin d'y prélever tel ou tel objet.

Fatalement, Pierre devait trouver une solution !
La plus simple était sans doute de ramener un truc dont personne ne voudrait.
Mais ma mère ayant piqué sa clochette de Gaulle en cuivre, il était évident que ramener un truc dont personne ne voudrait était un combat perdu d'avance ...







Celui qui est en short, c'est moi.



Alors, Pierre a ramené un singe.

(Nota : sur ce coup là ramener un truc dont personne ne voudrait était encore une fois un échec cuisant car, de toute évidence, en ce mois d'Août 1967 j'en aurais bien voulu, moi, du singe).










Ce singe, il l'avait trouvé encore jeune et déjà blessé, l'avait soigné et nourri au biberon : alors ils s'étaient habitués l'un à l'autre.

Tellement habitués l'un à l'autre que Pierre l'habillait d'une de ses chaussettes lorsqu'il faisait froid, ou des chutes d'une vieille chemise à fleurs, quand le temps le permettait.








C'est bien sur la chemise à fleurs qui valut au singe d'être baptisé Antoine.




On aurait aussi bien pu le prénommer Attila.
Le fait qu'il pue terriblement n'était qu'un détail, au demeurant facilement réglable : si mon oncle prenait une douche le singe acceptait de se doucher aussi, pourvu qu'il soit solidement accroché à l'un des mollets de l'oncle.

Ce n'est qu'après que ça se gâtait ... donc, finalement, tout le temps :

- à l'intérieur de la maison de ma grand mère cet abruti sans malice grimpait jusqu'en haut du vaisselier pour y prendre tel ou tel plat avant d'attirer ma grand-mère à grand renfort de hurlements. Alors, il la provoquait en faisant semblant de jeter au sol l'assiette prélevée.

Grâces lui en soient rendues, il n'a jamais rien cassé : son habileté m'a permis de récemment prendre possession de la quasi intégralité du service de fiançailles de ma grand mère.
Depuis, je m'en sers avec un plaisir non dissimulé.

- à l'extérieur, il montait au sommet du poirier pour y prélever un fruit dans lequel il mordait avant de le jeter - avec une précision diabolique - à la tête de ma grand mère, sa victime de prédilection.

Les : "Pierre, ton singe !" indignés de ma grand-mère ont rythmé cet été là, du moins jusqu'à ce que Pierre, son singe, ma mère et moi partions en Corse dans la 2cv maternelle.

La traversée a été épique : les singes c'est un plan drague absolument imbattable !
Mets un macaque en chemise à fleurs sur un bateau, changes lui sa couche (oui, le singe portait des couches ... et il aurait mieux fait d'en porter en permanence) sur le pont, et toutes les minettes du bord rappliqueront à toute vitesse.
Un véritable aspirateur à gonzesses, ce macaque !
Pourtant, le changement de couches était un véritable sacerdoce : je t'explique pas l'odeur !


Je t'explique pas, pourtant il le faudrait, car le singe était très possessif, aussi dès les premiers jours en Corse : à chaque fois que mon oncle le laissait dans la 2cv, il se vengeait de cet abandon.

Le plus souvent c'était en chiant dans les sacs de couchage, mais dans les cas les plus graves il en remettait une couche, si j'ose dire, sur le levier de vitesse de la 2cv.

La patience de ma mère est légendaire : aussi, après s'être fait pourrir, par le singe, une nuit d'été de plus elle eut une explication avec mon oncle.

J'imagine que l'explication fut simple et directe, un truc du genre :
"soit tu rentres avec nous, en voiture, mais sans ton singe ... soit tu rentres avec ton singe, mais à la nage".

Le destin d'Antoine était scellé : dans un village Corse, il fut donné à un autochtone qui était tombé en amour devant ce charmant animal.


Je ne retournais en Corse que bien plus tard.
Le séjour le plus significatif se produisit alors que, me réorientant vers l'arboriculture fruitière, j'eus à faire un stage en Corse, dans la plaine de San Giuliano, afin d'y évaluer l'adaptabilité de telle ou telle variété de nectarine aux terroirs corses.
Cette connaissance des nectarines devait, bien plus tard, me nuire.

La traversée se fit sans encombre et dans l'indifférence générale : bien que roulant en coupé 304, et non plus en 2cv, je n'étais accompagné d'aucun singe.
Tout au plus ais je, la veille de la traversée, été confronté à l'arbitraire. La première fois ça fait drôle : installé dans ma voiture adorée, au milieu d'un parc sur les hauteurs de Nice je bouquinais en regardant la mer et en attendant la nuit. L'Auberge de jeunesse affichait complet et mes sièges étaient du genre confortable.
J'ai été informé que l'idée de dormir sur place n'était pas bonne par un coup de matraque sur la carrosserie, coup donné par l'un des deux gorilles déguisés en flics municipaux qui m'ont expulsé manu militari.
Pourquoi ?
Parce que !
De toute évidence parce qu'ils étaient du bon côté du manche et que les jeunes c'est le mal.

J'ai dormi plus bas, plus mal. Pas qu'à cause de l'altitude plus faible.

En Corse, j'ai passé beaucoup de temps à calibrer, peser et goûter des nectarines.
Il y a pires stages.
Même compte tenu du fait que les salariés de l'association, tous corses et issus du village voisin, me laissaient parfois perplexe : après quelque temps à travailler avec eux, ils me firent remarquer que j'étais plutôt sympa mais qu'il ne fallait surtout pas que j'oublie que je prenais la place d'un Corse. Devant ma réponse relevant l'absurdité de cette remarque quand elle s'adresse à un stagiaire qui vient du continent en réponse à une offre de stage qui lui a été transmise, on me fit observer que si je continuais sur cette voie il ne faudrait pas m'étonner qu'une de ces nuits ma voiture explose.
Cet enthousiasme d'artificier je n'y fus confronté que deux ou trois fois : ils devaient réellement me trouver sympa.
Il faut dire que j'avais assez rapidement arrêté d'essayer de faire de l'humour fustérien, en tous cas dès que leurs remarques répétées m'avaient fait cauchemarder, une nuit d'été, à l'idée d'un aéropage de cagoulés instruisant mon procès sur le thème de :
"on n'aime pas l'humour".
Il parait que c'est un classique, là bas (private joke encore).

Au delà de la cueillette, du pesage et du calibrage de nectarines il m'arriva parfois de déguster quelques vins issus des essais du centre expérimental, local qui se nichait derrière l'INRA.

Devenu œnologue, ce centre je finissais par y retourner parler levures : encore une de ces boucles temporelles que j'affectionne.
J'y retournais à l'invitation de sa responsable qui, ensuite, m'amenait invariablement manger (très bien !) au restau tenu par son mari : l'un des rares (des très rares) restaus de bord de mer où la nourriture était digne de ce nom.
Etait bien mieux que digne de ce nom !

Il y avait aussi, forcément, de très jolis vins.
C'est donc là que j'ai découvert et apprécié de fort beaux blancs : depuis ceux d'Antoine Arena, jusqu'à ceux du Clos Canarelli. De beaux vins équilibrés et expressifs, des vins de plaisir avec du fruit, de la chair, parfois quelques notes mentholées. Des vins vers lesquels, encore une fois, il faudra que je retourne, un jour ou l'autre. Même si les tarifs sont devenus un chouia dissuasifs.


Une de ces nuits d'été comme la Corse sait en faire, à l'occasion d'un repas en terrasse et après telle ou telle quille : elle finissait par me demander si j'étais déjà venu en Corse et dans quelles circonstances.
Je laissais de côté des vacances récentes autant que catastrophiques pour lui conter l'histoire de mon premier séjour corse : la 2cv et le singe.

C'est précisément là, une fois arrivé au singe, qu'elle changeait de couleur, sautait sur son téléphone et appelait un numéro préenregistré :
"Allô, Tata ?
Je suis au restaurant, en train de manger avec quelqu'un de la famille du singe
".
Le raccourci était osé, mais pas totalement hors de propos.

Des explications parfois confuses qui s'ensuivirent il est ressorti que mon oncle avait donné le singe au sien, d'oncle.
Que le singe avait continué ses facéties comme à l'ordinaire.
Que ça avait un peu énervé la tante.
Et que le singe était mort prématurément des suites d'une ingestion massive de plomb de calibre 12.
Les corses ne visent pas à côté de l'oreille.


R.I.P. Antoine.


On s'est finis à la liqueur de myrte, et je dois avouer avoir ensuite eu plus d'une pensée émue pour Antoine, venu se faire dessouder en Corse.


Mon dernier vin Corse, c'était il y a peu et à Bordeaux : la cuvée Faustine du Comte Abbatucci, en rouge.
Très typé cassis, il se laissait boire mais ne m'a pas bouleversé ni même donné envie d'y revenir ... peut-être parce que je doute que Sainte Faustine puisse en appeler à la miséricorde divine, du moins au bénéfice de ce pauvre Antoine ...

Je ne suis jamais retourné en Corse.





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